L'entreprise et le harcèlement
L'entreprise est un lieu où pouvoir, autorité et hiérarchie cohabitent plus ou moins harmonieusement. Le monde du travail est un espace où les pouvoirs se chevauchent, quand ils ne se heurtent pas frontalement. En outre, les questions de personnalité viennent bien souvent envenimer des conflits latents. En second lieu, l’entreprise est un espace où s’expriment en permanence des conflits d’intérêts. Que ces conflits soient externes ou internes, il parait évident que les intérêts des salariés ne coïncident pas nécessairement avec ceux des dirigeants, ce qui se ressent tout particulièrement en matière salariale et syndicale. Par ailleurs, l’entreprise doit sans cesse lutter pour survivre dans un univers concurrentiel où le marché est depuis des décennies un champs de bataille à l’échelle planétaire où les entreprises de toutes tailles se livrent une guerre permanente où seuls les plus forts survivent. Dans un tel contexte, l’individu s’efface bien souvent derrière les justifications financières et la survie du groupe…
Curieusement, certains milieux professionnels connaissent habituellement des tensions très fortes entre les salariés et leurs dirigeants. Il n’est pas nécessairement question des professions à haut risque comme celle de : gendarme, convoyeur de fonds, journalistes, inspecteur du travail, marin pêcheur, ouvriers dans le bâtiment ou encore transporteur routier. Il est simplement question d’ambiances particulières que génèrent presque « naturellement » certaines organisations d’entreprises. Sans pouvoir être exhaustif, citons quelques exemples qui apparaissent bien illustrer cette problématique. Le premier d’entre eux est celui de la grande restauration. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les cuisines d’un grand restaurant pendant les « coups de chauffes ». L’atmosphère y est fébrile et extrêmement tendue, tous les salariés étant soumis à une fantastique pression. Dans un tel contexte, la moindre faute peut prendre des proportions anormales. Selon l’humeur du chef, les colères peuvent rapidement dégénérer en des gestes regrettables, qui en justice pourraient être qualifiés de harcèlement. Or, toute proportion gardée, les procédures de ce type sont très rares dans ce milieu réputé très dur. La plupart des chefs, lorsqu’ils acceptent de se pencher sur leur passé, confessent volontiers avoir eu des expériences pénibles, qui font parfois dresser les cheveux sur la tête, toutefois, ils ont l’habitude de mesurer leur connaissance de leur métier à la dureté de leur long apprentissage.
Le difficile métier de la vente est également propice aux pratiques de harcèlement. Les objectifs parfois irréalisables, les pressions énormes qui pèsent sur les vendeurs peuvent constituer à la longue des formes de harcèlements en soumettant les commerciaux à des stress qui, à terme, peuvent avoir de graves conséquences sur leur santé. Ces pressions posent la douloureuse question de l’adéquation entre le réalisme des objectifs, l’état du marché et la capacité du vendeur à pouvoir travailler dans un tel contexte. Ici encore, les meilleurs se souviendront de débuts difficiles où l’initiation à la vente les a conduit à travers les pénibles méandres de l’humiliation et de la patience. Reconnus dans leur milieu, ils sont devenus des êtres aguerris, nantis d’une riche expérience qui parfois s’appui sur des souvenirs douloureux. Accomplis par une formation quelquefois éprouvante, ils sont alors capables d’endurer des situations difficile qui feraient courir d’autres personnes tout droit devant les juges.
Tout revient donc à une question de personne. C’est pourquoi le traitement du harcèlement devrait nécessairement être fortement individualisé et respecter les hommes et les contextes. Enfin, un troisième et dernier exemple a pu donner il y a quelques années de tristes exemples de harcèlement qui s’accompagnaient d’effroyables conditions de travail. Nous voulons parler de l’industrie du textile. On se souvient des cadences infernales qui, dans les grandes usines textiles du nord de la France, étaient imposées aux femmes, de la pénibilité de travailler en permanence en station debout et de devoir agir rapidement sur des machines bruyantes, parfois sous la férule de contremaîtres qui, tels de véritables Cerbères, n’entretenaient avec le personnel que des rapports de forces. Toutefois, en raison des nécessités de la concurrence internationale imposées notamment par l’Inde et la Chine, l’image de l’industrie textile a évolué, pour donner naissance à des ateliers dispersés dans les grandes villes, constituant autant de petites unités de production, notamment à Paris.
Or, depuis quelques années ces unités de productions sont dans le collimateur des services de l’URSSAF. En effet, derrière ces ateliers se cache la misère de la clandestinité qui emploie une main d’œuvre d’autant plus servile et « bon marché » qu’elle est souvent étrangère et à la merci de certains employeurs indélicats qui n’hésitent pas à abuser ceux qui ne sont pas en règle avec les lois sur les étrangers. Dans un tel contexte les conditions de travail, les pressions psychologiques, le chantage au travail et à la carte de séjour s’apparentent souvent à du harcèlement permanent qui isole plus encore cette main d’œuvre abandonnée. Pourtant, face à cette précarité, les personnes qui subissent ces pressions ne vont jamais voir le juge tout cela parce que le travail quotidien est pour eux une condition de survie. Nécessité fait loi…
Certains secteurs d’activité imposent des conditions de travail que la majorité des salariés jugerait inacceptables. Toutefois, il faut rappeler que pour la majorité des cas, le contrat de travail n’est pas une fatalité et qu’en France, il est un contrat consensuel, c'est-à-dire négocié entre les parties. Aussi, le salarié ne pourra-t-il pas sérieusement prétendre qu’il n’aura pas été averti des conditions qui l’attendaient Par ailleurs, les recruteurs internes ou externes à l’entreprise ont un rôle déterminant à jouer. Leur expérience les aide à déterminer qui peut raisonnablement assumer les conditions particulières d’un poste réputé stressant.
Eric Hautrive
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